HEAT | feat. Saiki Nagare

Qui l'aurait cru ? Ce soir-là, elle avait envie de tout sauf d'un tour en forêt. En fait, elle s'était découvert récemment une passion pour la musique classique. Ce qui avait entraîné plusieurs achats compulsifs de CD de musique classique. Et la modification de son petit rituel du soir. Autrefois, il s'agissait d'un tête à tête entre elle, une tasse de thé et un roman... Oups, ça fait trois, là. Bref, quoi qu'il en soit, depuis, elle passait ses soirée libres à écouter de la musique, les yeux fermées, à moitié en transe. Ce qui la transportait le plus, c'était le son des violons. Certes, c'était un peu spécial, mais ça n'avait rien de bien dangereux... Sauf pour le sommeil de sa voisine. Mais... Ce soir- là elle n'allait pas pouvoir s'adonner à son nouveau passe-temps.
Il fallait vraiment que ça se passe en pleine nuit ? C'était certainement plus pour impressionner les gamins qu'autre chose... Voilà ce à quoi elle pensait. Parce que bon, si beaucoup de démons aiment agir dans l'ombre, au sens propre comme figuré, il y en avait aussi un bon nombre qui ne ce souciait pas de l'heure pour semer le chaos. Mais non. Il fallait croire que ça ferait un bien meilleur décor, si la première mission des petits nouveau se déroulait en pleine nuit, en lisière de la forêt. A minuit tapantes, qui plus est.
Elle jeta un coup d’œil à l'écran de son téléphone portable (elle n'avait pas de montre). 23h43. Bon, elle était en avance. Comme d'habitude. Parce que selon elle, « être à l'heure, c'est être en avance. » Les mômes ne s'étaient pas encore pointés. Prévoyante (du moins la plupart du temps), elle avait pensé à emporter de quoi patienter. Soit, ce soir-là, son lecteur de musique, munis d'écouteurs. Elle enfonça les morceaux de caoutchouc soigneusement dans ses oreilles, et lança la playlist. Les murmures de la forêt disparurent, remplacées par les accents dramatiques d'un violoncelle solitaire. Cela donna immédiatement au paysage qui l'entourait quelque chose de magique, un je-ne-sais-quoi qui la fît vibrer. Le faisceau lumineux du phare, contre lequel elle était adossées, tranchait la nuit, baignant de sa lumière dorée les arbres, l'espace d'un instant, avant de disparaître. Soudain, elle ne regretta plus de devoir repousser l'heure de son coucher pour entraîner une bande de gamins insolents aux arts de l'exorcisme.
C'était quand même la toute première fois qu'on la mettait en charge d'un groupe aussi jeune. De tous nouveaux élèves, fraîchement traumatisés pour la plupart. Il s'agirait de leur toute première mission.
Au fond d'elle, elle était anxieuse, mais elle s'efforçait de repousser ce sentiment en pensant à autre chose. Normalement, le groupe de gamins ne devrait pas être grand, de manière à ce qu'elle puisse les encadrer facilement. Mais on ne lui avait pas donné plus de renseignements. Pas de nombre, rien sur les genres... Elle commençait à avoir l'habitude. A La Croix-Vraie, un prof devait être autonome... De gré ou de force. Par contre, elle s'attendait à devoir dompter les ardeurs des gosses. Parce qu'ils risquaient d'être sacrément déçus, les bougres. En effet, la mission ne serait pas une élimination de démons. Pas vraiment... Non, parce que, elle n'était pas folle. Hors de question d'exposer des pages à quelque chose de trop féroce pour une premier exercice pratique. Donc, elle voulait simplement les emmener à la rencontre des green-mans sauvages que l'on trouvait dans les parages. Et puis, cela allait lui permettre de juger un peu de leurs capacités personnelles. Et de voir s'il y avait un ou deux potentiels dresseurs dans le lot, parce que c'était une qualification qui manquait pas mal, ces derniers temps.

Sinead n'était pas des plus patientes. Malgré la musique, elle ne pouvait s'empêcher de jeter des coups d’œil agacés à son téléphone, le temps s’étirant lamentablement. Mine de rien, maintenant, elle avait hâte que ça commence. Plus tôt ça serait plié, mieux ça serait. Comme ça, elle pourrait rentrer se mettre au lit. Et puis, il faisait frais.
Elle resserra les pans de son manteau sur elle, frissonnant. Bon Dieu, mais qu'est-ce qu'ils foutent ?
Quelques minutes plus tard, une silhouette unique se découpa, plus sombre parmi la végétations dense.

-Allons bon, qui ça peut bien être... ?

Elle plissa les yeux, se penchant imperceptiblement en avant pour tenter de bien voir. La lumière de phare frappa alors, brièvement, le visage d'un jeune homme.

-Merde, mais c'est un élève !